Comme si l’expérience et la survie de mon Guerrier n’étaient pas un miracle suffisant en soi, pendant qu’il flirtait avec la mort ma propre vie se préparait à changer…
Ceux qui nous connaissent vous le confirmeront : mon mari et moi sommes particulièrement proches. Notre complicité nous amène régulièrement à faire de la télépathie, ce que nous trouvons toujours « cute » et attendrissant.
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Le matin du vendredi 25 juillet, une pensée très claire s’est imposée à moi : « où allais-je habiter si François mourait ?»
Je dois préciser que nous demeurons dans un PMQ (logement militaire) et que la famille n’est pas autorisée à y habiter indéfiniment après le décès du militaire. De plus, nous résidons à Trenton, une ville qui n’a aucun intérêt à long terme pour moi. Pourtant, rien ne laissait entendre que la vie de mon conjoint était en danger cette journée-là. Il n’était pas en mission ni en déplacement à l’étranger. Oui, je savais qu’il allait sauter, mais je n’avais aucune raison particulière de m’inquiéter : il l’avait déjà fait plus de 20 fois dans la dernière année.
Je me retrouve donc avec cette pensée persistante, venue de nulle part, qui refuse de me quitter. J’essaie de la balayer du revers de la main, en mettant cette soudaine inquiétude sur le dos de la maison familiale qui a été vendue quelques semaines plus tôt et qui met fin à mes liens avec la ville de Québec.
Mais au lieu de ressentir une simple préoccupation pour un avenir improbable, j’éprouve une urgence de déménager mes filles après un évènement tragique! Il faut MAINTENANT choisir un endroit pour les élever, la meilleure place pour tenter de faire leur bonheur après la perte bouleversante de leur père, de l’Homme de ma vie.
Je ne savais pas quoi répondre, mais l’idée ne voulait pas me quitter… Aussi rationnelle que je tentais d’être, j’ai dû capituler et prendre le temps d’y réfléchir pour avoir finalement la paix… et réaliser, après avoir analysé différentes solutions, que je n’avais aucune idée où je pourrais aller!
Il n’y avait aucune raison logique pour que cette pensée s’impose à moi de cette façon. Oui la perte de mon père et la vente de la maison familiale font en sorte que mes attaches à la ville de Québec ne sont plus aussi vitales. Mais j’y ai encore de la famille, quelques amis et après tout, c’est ma ville natale. J’aurais pu y songer de façon accessoire… mais pas avec ce sentiment d’urgence et d’inévitabilité. Surtout pas avec la pression de devoir quitter un PMQ en quelques mois. Car avec « l’ordre » de prendre une décision, venait l’urgence de le faire maintenant!
Cette pensée m’a suivie une partie de la journée… dans les heures précédant l’incident.
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Comme le dernier saut de mon Guerrier était à 18 h 30, nous avions convenu que j’y assisterais avec les filles et que nous irions ensuite souper au restaurant thaï à Belleville. Les filles voulaient voir sauter leur père depuis longtemps : Sofia l’avait déjà vu à quelques reprises, mais Audrey n’avait pas encore eu l’occasion de le faire.
Logiquement, le timing était parfait. Intérieurement, j’éprouvais un profond malaise avec ce plan.
En route pour la rencontre, j’ai failli abandonner l’idée à de nombreuses reprises et rebrousser chemin, ce qui est complètement contraire à ma nature! Je me trouvais sans cœur de faire ça à notre Guerrier qui avait hâte de nous retrouver et de passer une soirée en famille. Attendre qu’il revienne à la maison nous imposait un délai ridicule d’une demie-heure alors que le drop zone étant tout près du restaurant. Habituellement, je saute sur toutes les occasions de passer du temps avec lui ou de faire quelque chose de nouveau. Surtout le vendredi soir!
En chemin, même Sofia a réclamé à plusieurs reprises de laisser faire, d’arrêter prendre quelque chose au Harvey’s et d’attendre papa à la maison. Alors qu’habituellement elle préfère le Thaï, mais surtout sur l’occasion de faire une activité en famille! Jusqu’à la dernière seconde, j’ai failli m’arrêter au Harvey’s même si je n’en suis pas une fan. Mais j’ai décidé de ne pas écouter ma « petite voix » et de faire ce qui était logique.
Je n’étais encore jamais allée à cette drop zone, mais je connaissais le chemin pour m’y rendre, et le nom de l’aéroport que je pouvais facilement insérer dans mon GPS en cas de doute.
À mi-chemin, juste avant de traverser le pont à la hauteur de Belleville : blackout total. Impossible de me souvenir du nom de l’aéroport. Impossible de me rappeler la direction générale à prendre après le pont et qui me mènerait jusqu’à une première pancarte routière. Je n’avais plus aucune idée où aller!
Je me suis engagée sur le pont et j’ai remarqué un parc sur la droite. Je m’y suis arrêté avec les filles pour chercher sur mon GPS et fouiller dans mes messages pour trouver ceux qui m’indiquaient le trajet à suivre pour me rendre jusqu’au drop zone. J’en avais deux. Impossible de les trouver! Même le texto me donnant tous les détails était introuvable! J’avais la conversation d’avant, celle d’après… mais pas celle qui me donnait le chemin à emprunter!
J’ai donc texté à mon Guerrier pour lui dire que le point de rencontre serait changé, et qu’il devrait nous rejoindre à l’entrée du pont.
À 19 h 30, consciente que quelque chose ne fonctionnait pas, mais sans m’inquiéter pour autant, j’ai décidé de retourner à la maison. Envoi d’un nouveau texto pour dire que nous partions pour le Harvey’s, que nous serions à la maison et qu’il pouvait nous y rejoindre.
Dès que j’ai traversé le pont en direction de Trenton, le voile s’est levé et le nom de l’aéroport s’est imposé à moi : Mountain View! Je me suis trouvée tellement stupide de l’avoir oublié! Je n’arrivais pas à croire que je puisse être victime d’un tel trou de mémoire en plein milieu du trajet! Intérieurement, je sentais que quelque chose se passait…
Je me suis immédiatement immobilisée sur le bord de la route pour retexté que finalement s’était OK, que je faisais demi-tour et reprenais la route pour l’aéroport.
C’est à ce moment que le téléphone a sonné, que mon Guerrier m’a annoncé qu’il était à l’hôpital, que tout allait bien, mais qu’il avait un problème avec un de ses bras et qu’il devait être examiné. Son sergent qui l’accompagnait m’a aussi parlé. Il m’a confirmé que tout était sous contrôle, que je pouvais l’appeler en tout temps sur son téléphone personnel si j’avais des questions et qu’il restait à ses côtés jusqu’à ce qu’il obtienne son congé de l’hôpital.
L’idée m’est venue de demander à ce dernier quel était le pourcentage de bullshit dans l’histoire qu’ils me racontaient tous les deux. Mais je savais qu’il ne pourrait pas me répondre, que les ordres sur ce qu’il avait le droit de me dire devaient être très clairs. J’ai préféré ne pas le mettre dans l’embarras… De toute façon, j’avais parlé à mon mari, je savais qu’il était vivant, conscient, et « lui-même ».
Le reste pouvait attendre. L’essentiel était dit.
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À la lumière de ce qu’a vécu l’Homme de ma vie, je ne peux que bénir le ciel pour mon blackout. Car même s’il s’en est bien sorti, pouvez-vous imaginer que les filles (et moi) soyons témoin de sa chute vertigineuse? Logiquement, je DEVAIS être sur place et REGARDER complètement impuissante le drame se dérouler sous mes yeux! En compagnie de nos deux filles!
Nous parlons beaucoup de l’accident et de toutes les émotions vécues par mon Guerrier pendant sa chute. Je suis bouleversée d’imaginer sa descente, de le voir dans ma tête chuter vertigineusement comme une poupée de chiffon, d’imaginer ses « dernières » pensées, alors qu’il voit le sol se rapprocher à toute allure. Je sais que j’aurais été traumatisée d’être sur place! Et que mes filles en soient témoins? L’horreur!
Je remercie le Ciel chaque jour que mon Guerrier soit vivant et en santé. Je remercie aussi le Ciel de nous avoir protégés d’une telle expérience en nous « forçant » un peu la main, et nous faisant échouer dans un parc de Belleville.
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L’« atterrissage » de mon Guerrier tient du miracle. Sa survie tient du miracle. Son bilan de santé tient du miracle. Pour moi, c’est évident : « quelqu’un » est intervenu pour changer notre destinée. Dieu? Mon père? L’Univers? Un ange gardien? Toutes ces réponses? Je ne le sais pas. Donnez-lui le nom que vous voudrez. Mais Dieu, sous quelque forme qu’il se représente, a changé la donne. La chance à elle seule ne peut expliquer tout ce qui s’est passé.
Pour mon Guerrier, à 5 000 pieds du sol, placé devant l’inévitable, tout est devenu clair. II n’a pas vu sa vie défiler devant ses yeux… Il a vu sa raison de vivre.
Une prise de conscience qui l’a transformé.
Les répercussions de l’expérience? Un corps douloureux, des mouvements difficiles à exécuter, mais un corps très fonctionnel. La physiothérapie, des traitements d’acuponcture version hardcore et le temps devraient réparer le tout.
Mais le plus important : un incroyable besoin de vivre, une sérénité parfois frustrante, mais excessivement agréable à vivre pour nous, et un nouvel alignement des priorités.
Je vis maintenant avec l’un des hommes le plus zen de la planète. Même mes montées de lait ne réussissent pas à l’ébranler! Je sais… j’ai essayé.
Et c’est le bonheur.
Je t’aime mon Amour.
MERCI.
La suite : 10 mois plus tard – la vie avec un miraculé
j’ai la réponse à ma question .. c’est juste incroyable .. ton récit me coupe le souffle .. je te comprends vraiment .. et comme toi, je me poserai ce genre de questions … même si certains ont des réponses toutes faites sur ce genre de sujet..
Difficile d’avoir « la » réponse… mais les questions ne manquent pas!
Ton récit de la mésaventure de ton amoureux m’avait déjà laisser sans mot , mais là je suis flabergasté( ça se dit tu?) Mordez dans la vie à belle dent ; car on ne sais jamais ce qui est pour être au bout de notre route, xxx
Tu as raison Diane, il faut profiter de chaque instant! xx
Nous ignorons tant de choses… Ton récit est extraordinaire!!!
Merci Anne 🙂
Je sais de quoi tu parles… Vous avez tous été guidés et protégés – et ton aînée semble être aussi réceptive que ton Guerrier et toi-même. Le trou de mémoire providentiel, le mauvais chemin emprunté, le téléphone qui ne fonctionne pas…j’ai déjà connu ça mais pas dans des circonstances aussi dramatiques.
Des petits signes qu’on ne remarque pas toujours, ou qu’on prend à la légère, mais qui prennent toute la place dans des situations comme celle-ci!
Vraiment très touchant, éblanlant, renversant ton recit Lyne. Votre complicité, connexion, est si exceptionnelle, hors du commun. Longue vie d’amour à vous deux et à votre famille ❤️.
Merci Karine, ton commentaire me touche beaucoup 🙂 Je me trouve très privilégiée de vivre une telle relation, et de pouvoir continuer à la vivre!
Que de signes troublants, en effet …
Disons qu’ils portent à réfléchir 😉